53 % des Espagnols se considèrent féministes selon une enquête IPSOS menée en 2023. Ce résultat fait de l’Espagne le pays le plus féministe d’Europe. Pourtant, celui-ci est régulièrement qualifié de conservateur en raison de la période franquiste. Un paradoxe qui n’en est pas vraiment un, comme nous l’explique Carole Viñals, maîtresse de conférence à l’Université de Lille, spécialiste de l’Espagne contemporaine : « En Espagne, il existe vraiment le paramètre droite gauche. Dans les pays latins il y a souvent une polarisation, l’un n’empêche pas l’autre. ». Si le franquisme a restreint le droit des femmes, il a surtout contribué à l’émergence d’un mouvement féministe puissant : « le féminisme des années 70 a été très actif et revendicatif ».
C’est en 1933 que les femmes espagnoles obtiennent le droit de vote pour la première fois, une quinzaine d’années avant les Françaises. Un pas franchi lors de la Seconde République, qui a adopté plusieurs mesures féministes. Ces dernières constituent le terreau de la politique menée par la gauche espagnole, qui se réclame en être l’héritière. Les lois contre les violences de genre adoptées par le gouvernement Zapatero dans les années 2000 en sont une illustration : « les gens lui ont parfois reproché de ne pas mener une politique de gauche qui défend les travailleurs, mais d’avoir au contraire une visée sociétale. » explique Carole Viñals.
«Lors de la loi Gallardón, le mouvement féministe a très bien résisté »
Si la dépénalisation de l’IVG en 1985 ainsi que sa légalisation en 2010 semblaient être un filet de sécurité pour les femmes, le projet de loi Gallardón, en 2013, a pourtant remis en question ces acquis. A l’époque ministre de la Justice espagnole, Alberto Ruiz-Gallardón avait pour ambition de limiter l’IVG aux seuls cas de viol ou de risques pour la santé physique et psychique de la mère. Si cette mesure sonne comme une fragilisation du droit à l’IVG, l’abandon du projet de loi prouve au contraire la force du mouvement féministe. « Lors de la loi Guallardón le mouvement féministe a très bien résisté. La droite a fait adopter de nombreuses lois mais celle-ci, ils n'ont pas réussi à la faire passer » note la chercheuse. Une rue puissante donc, qui a contribué à l’émergence de plusieurs mesures féministes ces dernières décennies.
« Irene Montero a pris à bras-le-corps la question du consentement. »
En mai 2022 la « ley del solo si es si » (seulement oui est un oui) adoptée par le gouvernement Sanchez a renversé une tendance en obligeant les agresseurs à prouver qu’il y avait consentement. C’est à la suite de l’affaire « Manada » (La Meute), viol collectif ayant eu lieu en 2016, que l’opinion publique a été saisie de cette problématique. Irene Montero, ancienne ministre de l’Égalité, « a pris à bras-le-corps la question du consentement, en fait, elle a inversé la présomption. » explique Carole Viñals. Par la suite, le gouvernement a fait avancer la législation pour les personnes transgenres, et a autorisé la mise en place d’un congé menstruel. Des mesures qui traduisent une volonté d’adapter les lois aux défis sociétaux actuels « la vague me too a remis en question le code pénal dans de nombreux pays. Le gouvernement Sanchez a donc tenté de mettre à jour la législation » conclut la chercheuse.
Crédits GTRES / MIKEL TRIGUEROS