C’est officiel, d’après le comptage des voix des trois quarts des bureaux de vote du pays, 55 % des électeurs ont voté “non” au texte qui proposait de reconnaître l’existence de ce peuple dans la Constitution. « C’est un résultat difficile, un résultat très difficile », a déclaré le directeur de la campagne « Yes23 » Dean Parkin, premier défenseur des droits des aborigènes d’Australie. Pour rappel, selon Amnesty international, plus de 370 millions de personnes dans 70 pays du globe se considèrent comme membres du peuple autochtone. Ils appartiennent à plus de 5 000 groupes différents et parlent plus de 4 000 langues. Au titre du droit international, le terme autochtones induit que les ancêtres d’une personne vivaient sur des terres précises, avant que de nouveaux arrivants ne prennent une place dominante sur ces territoires. Ces peuples ont leur propre coutumes et cultures, et sont souvent confrontés à une réalité difficile : leurs terres sont confisquées et ils sont traités comme des citoyens de seconde zone.
Entre le traumatisme et la grande colère dont les nouvelles générations ont hérités de leurs aînés, mais aussi les actions restrictives du gouvernement australien avec des politiques qui privent les peuples autochtones de leurs droits fondamentaux, les australiens autochtones, soit près d'un million de personnes, se posent toujours la même question : quand la Constitution australienne reconnaîtra-elle enfin leur existence ?
Suite au rejet majoritaire de ce référendum historique par la population australienne, il est essentiel de revenir en détail sur le projet du premier ministre Anthony Albanese, mais aussi sur la place qu’occupe ce peuple en Australie avec une histoire particulièrement mouvementée et désormais influente dans le pays.
La colonisation européenne de 1788 fut traumatisante pour les communautés autochtones d’Australie. Alors qu’on comptait au total 750 000 d’autochtones présents, le nombre a chuté passant à tout juste 93 000 en 1900. Des milliers de personnes aborigènes sont mortes lorsque les colons britanniques les ont expulsés de leurs terres et ont amené des maladies mortelles comme la variole et la rougeole. Depuis, ils ont été séparés du reste de la société, des enfants ont été arrachés de leur famille, contraint d’adopter des coutumes britanniques. Ces populations sont plus susceptibles d’être pauvres, sous-éduquées, malades ou emprisonnées. C’est pourquoi plusieurs ONG dans le monde sont aux côtés de ce peuple : c’est le cas d'Amnesty international qui veut notamment mettre fin à la surreprésentation en détention des mineurs autochtones, et qui continue à défendre les droits de ce peuple avec la campagne community is everything. Ce fléau est loin d’être un phénomène récent : en 2013, des députés en Australie avaient déjà appelés à plus d’égalité dans le pays où les aborigènes sont fortement défavorisés, notamment en termes de santé, d’éducation et d’emploi, alors même que la discrimination raciale est illégale en Australie depuis 1976. Beaucoup se retrouvent pris au piège de la pauvreté et de la criminalité, y compris les mineurs qui sont 24 fois plus susceptibles d’être incarcérés que ceux de classe non-autochtones.
Mais tout cela allait sûrement changer avec l’adoption du projet proposé par le Premier ministre : en effet, il s’agissait d’une modification de la Constitution avec la reconnaissance d’une part que lorsque le capitaine James Cook est arrivé en Australie, il y avait des gens, et que le concept de “terras nullius” ou “territoire sans propriétaire”, c’est à dire un espace qui peut être habité mais qui ne relève pas d’un État, serait ici un mythe.
De manière plus concrète, la mise en place de ce projet aurait permis aux aborigènes australiens, dont les ancêtres vivent sur le continent depuis au moins 60 000 ans, d’être reconnus pour la première fois dans la Constitution, et d’être consultés par le gouvernement à propos de lois les concernant tout en ayant l’autorisation de faire des recommandations sur ces sujets au Parlement avec la création d’un conseil consultatif surnommé “La Voix”.
En revanche, encore fallait-il obtenir la majorité des votes favorables dans l’ensemble du pays et dans la plupart des huits États, ce qui risquait d’être compliqué car ce projet divisait fortement en Australie. En effet, les partisans du “oui” étaient déjà minoritaires avant l’annonce officielle du référendum. En plus de ces tensions émergentes, une désinformation importante s’est organisée partout sur les réseaux sociaux, ce qui était à l’avantage des partisans du “non”, majoritairement conservateurs : on y trouvait de fausses allégations selon lesquelles les titres de propriété ou l’accès à l’eau seraient compromis par le changement constitutionnel, que le référendum pouvait mener au communisme, ou encore que l’ONU était même capable de prendre le contrôle de l’Australie.
Aujourd’hui, les résultats de ce référendum creusent davantage les divisions au sein de la société australienne, empêchant ainsi ce peuple d’obtenir une voix influente dans la sphère politique du pays. Près de dix jours après le non des Australiens au référendum qui proposait de reconnaître les populations autochtones dans la Constitution australienne et de leur donner plus de droits, des dirigeants aborigènes ont brisé le silence qu’ils s’étaient imposé pour condamner l’échec de ce dernier, dénonçant la majorité « honteuse » qui s’y est opposée dans une lettre adressée au gouvernement : « Nous n’acceptons pas un instant que ce pays ne soit pas le nôtre », est-il écrit dans ce courrier. « La vérité, c’est que les Australiens dans leur majorité ont commis un acte honteux, sciemment ou non, et qu’il n’y a rien de positif à en retirer ». Selon le partisan du oui Sean Gordon, la lettre ouverte n’a pas été signée afin que puisse s’y associer tout membre des peuples autochtones du pays.
L’enjeu majeur qui se présente désormais pour l’avenir de l’Australie et de son peuple est le maintien de la sécurité, de la paix et de la cohésion nationale malgré ce refus suscitant contestation, colère et indignation.
Crédits : David Gray/AFP